Featured Letter: Françoise Paule Huguet de Graffigny [née d’Issembourg Du Buisson d’Happoncourt] to François Antoine Devaux, c. Tuesday, 7 October 1738
In this apparently unassuming letter to her confidant, François Antoine Devaux, Françoise de Graffigny plays joyously with the letter’s ability to recreate presence. While effusively expressing her desire to be with her distant friend everywhere, she shows an ironic awareness of how much more pliable an imaginary interlocutor is than a real one. Even her obscene anticlerical anecdote opposes conversation and writing: she gleefully breaks her vow not to recount the tale, since her promise did not include written communication. Yet, despite this emphasis on the distance between letter-writing and living presence, Graffigny’s letter conjures up a variegated panorama of eighteenth-century noble social life. Unpacking the belongings of the famous mistress of the duke of Savoy, the comtesse de Verrue, Graffigny fantasises about ideal sociability in Mme de Verrue’s salon, based on conversation, reading, and writing in an atmosphere of liberty. She contrasts this vision with the reality of her own life as a companion to Mme de Stainville, where the only books they savour together are the “hundredth edition” of Stainville’s uninteresting chatter. Shandian avant la lettre, Graffigny exalts friendship and learning while refusing to take herself too seriously.
Dr Kelsey Rubin-Detlev is Assistant Professor of Slavic Languages and Literatures at the University of Southern California. She is the author of The Epistolary Art of Catherine the Great (Oxford University Studies in the Enlightenment/Liverpool University Press, 2019), and she co-translated and co-edited with Andrew Kahn the Selected Letters of Catherine the Great (Oxford University Press, 2018).
Le mardi apres-midi [7 octobre 1738]
A peine ma lettre est partie pour la Ligny que me voici deja a t’ecrire, mon cher Panpan. Qui ne prendroit cela pour de l’amour? Il faut meme etre aussi seure que je le suis de n’avoir que de l’amitié pour ne pas tomber dans quelque doute. J’ay un plaisir a t’ecrire dont les conversations les plus amusantes ne me dedomageroient pas. Je tremble en recevant tes lettres qu’elles ne soient trop courtes. Je viens de me promener, j’ai laissé mon hotesses s’entretenir avec ses ouvriers et je suis sortie du jardin par une petite porte qui donne dans une prairie. Ah, quelle prairie, mon Panpichon, car j’ai pensé que tu l’aimerois. Il n’y a pas une topiniere. L’herbe y est comme du velour. La riviere l’entoure. Cette riviere dont je ne sais pas le nom n’est guere plus large qu’un ruisseau et son eau est aussi claire. Je voulois te persuader que cela etoit plus beau qu’un tableau et il me semble que tu te rendois. Je me suis presque toujours promenée avec toi, car je cherche autant que je puis a ne m’ocuper que d’idées agreables. Mde Deshouilliere c’est avisée de venir s’y fourer malgré moi. J’ai dit et repeté cent fois sans le vouloir : «Quittez, mes chers moutons, le cours de la riviere, etc».
Je ne sais si cela n’est pas bon a ma santé, mais au retour j’ai eu un grand acces de vapeurs. Par bonheur, mon hotesse n’en a rien vu. Me sentant mal, je suis revenue, et elle tracasse encore dans ses gregniers; je proffite du tems pour causer avec toi. Je n’en pers pas un, je te foure partout, jusque dans les plats d’ecrevisses qui sont ici a trois sols le cent, et les truites a proportion. Je voudrois avoir un mesager pour t’en envoyer. Voila ce que fait la confiance, mon cher ami. Je suis seure que je te fais plaisir de penser a toi, et cela m’en fait, quoique tu ne le sache pas. Je suis seure que tu vois mon amitié dans toute les misere que je t’ecris, qui feroient hausser les epaules a d’autres, et j’ai du plaisir a te les ecrire.
Je veux pourtant t’amusser tout de bon d’un conte que le St m’a fait, apres m’avoir fait jurer sur mon honneur que je ne le dirois jamais. Le voici. Une femme que son mari caressoit comme une Lise se douta qu’il y avoit la-dedans une tournure qui pouvoit etre desaprouvée de notre mere la ste église. Elle choisi un jesuite pour se confesser, esperant peut-etre qu’en faveur de la forme, il pardonneroit la chose, mais celui-ci etoit avec le ciel sans accomodement. Il renvoya la penitente sans absolution et lui promi de la lui refuser jusqu’a ce qu’elle ait converti son mari. La chose etoit dificile. Il savoit la geometrie et opossoit des raisons de proportions toujours triomphantes de celle de l’opinion. Enfin la pauvre femme, voulant metre d’accord sa concience et son plaisir, crut qu’un cordelier seroit plus propre a faire cet accomodement qu’un jesuite. Elle fut le trouver et lui dit son cas. «Gout de mari, passons», dit cordelier. «Mais mon pere, dit la dame, un tel jesuite m’a renvoyé depuis tant de tems sans absolution.» «C’est un ignorant, dit le pere, allez, allez lui dire qu’il aprene a....... avant de confesser.» Voila les jolis petit conte de notre joli petit St. Je n’avois pas promis de ne point l’ecrire, et je lui ai juré de te le mander. Lis-lui affin que si j’ai obmi quelque circonstances, il puisse te les dire. Je voulois lui faire mettre en vers, mais son devergondage n’en est encore qu’a la prose, et je te jure qu’elle est plus energique que la miene. Je l’ai envelopé du mieux que j’ai pu.
Je viens de recevoir mes lettres. C’est presque aussi tot qu’a Comercy. Cela est charmant. Il y a un mesager qui les aporte pour un sol des que la poste est arrivée, mais il y a toujours l’inconvenient de ne faire reponce qu’un ordinaire apres.
Madame dessent. Je vais la retrouver. A demain.
Le mercredi matin [8 octobre 1738]
Le reste de ma journée d’hier c’est passé a tendre un metier de tapisserie — c’est une ressource; a devaller deux caisses de livres ou je n’ai trouvé de nouveau que quelque brochures que je parcourerai tantot. J’avois hier tant de vapeurs et mon hotesse fut si ennuyeuse l’apres-souper que je ne pu que me jeter dans mon lit. M’y voici encore avec toi, mon cher ami. La lettre d’hier etoit bien propre a m’auter mes vapeurs. Elle n’en a cependant rien fait, la deffience l’emporte. N’en parlons plus. Je vais te lire et te repondre. C’est causer.
Ton premier article est sur le Docteur, et j’y repond par te deffendre de le presser pour m’ecrire. C’est lui qui m’en prie. Aparament que tu le persecutes. Je t’en suis bien obligée, je reconnois bien ton amitié toujours attentive sur mon cœur, mais enfin n’en fais plus rien car cela le fache, et cela ne me fera point de mal si ce n’etoit de peur de grand carillon. Je serois bien aise qu’il ne m’ecrivi point du tout pour le parti que je prend. Car vois-tu, il faut profiter de l’absence pour me metre a son niveau. Sa deffiance lui tiendra toujours lieu de caprice et, quand je me suis livrée a la vivacité de sa tendresse, il m’est insuportable de le voir tomber dans le froit et l’indiference a propos de botes. Je suis seur qu’il croit que j’ai fait l’amour au pere Antoine a Comerci et que je fais l’agreable avec le curé d’ici, mais il a la goute. Ah, mon Dieu, il y a deux compagnie de cavalerie, a ce qu’on dit, car la dame ne veut pas voir deux officiers qui y sont, et au fond je crois qu’elle fait bien. Je supose qu’il est a son regiment et qu’il ne vera point cette letre. La peur de me perdre le feroit revenir. Je dissimulerai; je suis lasse du balotage. Je n’ai pas eté trop contante de ses plaisanteries. J’en connois le ton, je lui ai repondu de meme et mon stile sera toujours conforme au sien. Plus de querelle, plus de reproches inutils. Je tacherai de le prendre tel qu’il est. Aussi bien ne nous veronsnous plus guere dans notre vie. Quant mon cœur ne sera pas contant, il prendra des cartes. Voila la derniere fois que je t’en parle. Cela est aussi trop ennuieux.
Je ne saurois croire que Md. de Lixein ait dit tout cela a la Chanceliere. Elle n’est pas encore a ce point d’extravagance-la.
Nous [nous] sommes quittée, mon hotesse de Comerci et moi, comme les deux doits de la main. Je l’aime casi. Elle a du bon et du mauvais comme bien d’autre.
Tu demande des nouvelles de Dubois. Elle est toujours de meme. Elle est transportée de ton souvenir. Je voudrois bien vous voir tignogner vous deux.
Je prend bien de la part a tous tes chagrins de chiens. J’ai pensé a ta fete, je t’ai donné mille tendre bouquets et j’ai oublié de te le dire.
Le recit de ta journée de chez la G. m’a diverti en quelques endroit et faché dans d’autre. Je suis furieuse de l’indiscretion de Clairon. Mais mon Dieu, qu’en dit le Docteur? N’est-il pas au champ? Mande-moi cela. Je crois que le melieur est de n’en rien dire a cette creature. Mon Dieu, que cela me fache. Le portrait de la Grandville est chez vous avec celui de ma tante. C’est la faute de Dubois a qui j’avois recommendé de les rouler et de les enfermer dans le gros coffre, parce que je les emporterai. Tu peus le dire a Lolote. En verité je payerai bien le port de son portrait. J’en aurai plus besoin a Paris qu’a Luneville. Tu peus le lui dire. Je me suis divertie de votre partie de piquet presque autant que vous.
Il n’y a plus dans ta letre que de sotes excuses de l’ennui qu’elle doit me causer. Le diable t’emporte, et t’emporte tout de bon si tu en fais encore. Quand il n’y auroit dans tes lettres que des zigzag sans formation de lettre, je l’aimerois encore mieux que d’en recevoir d’une simple feuille de papier. Je suis tentée de ne les point ouvrir quant je n’y vois point d’emvelope. Bonjour, il faut me lever. A revoir, mon cher Panpan. Je suis un peu moins vapeureuse depuis que j’ai causé avec toi.
Le jeudi apres-midi [9 octobre 1738]
Je ne t’ai point ecri ce matin, mon Panpichon, parce que j’avois la colique. Hier je fus a la promenade d’abort apres diner. Je grimpai une montagne pour aller dans un petit bois fort joli, mais cette situation-cy e[s]t presque comme celle de Plombier; quand on est en haut des montagnes on voit qu’on ne voit rien. Cependant j’aurois bien eu du plaisir si j’avois eté seule, car c’etoit marcher sur le velour de la pelouse. Les bois sont encore vert. Au diable les gens qui ne sente rien des beauté de la nature et qui bavarde sans cesse! J’en eu hier tout du lon. L’histoire de Toussaint et l’etablissement de Paris fut traité en detail, centieme edition. L’histoire de tous les cloux qui on eté fichés ici, et de tout ce qu’elle a dit aux ouvriers sur chaque coup de marteau, ce qu’ils ont repondus. C’est au moins la dixieme edition, tant a Comerci qu’ici. Le plan en ridicule de la maison de son beau-frere. Je me tue de dire : «Ah, oui, Madame, je sais cela, vous me l’avez dit», rien ne l’arete. Les petis chaudrons sont partout. Il est inouis, inconsevable, incroyable jusqu’ou vont les details. C’est une chose unique. S’il y avoit de la perfection dans l’inutilité des discours, elle en feroit au dernier point. Les resonnemens qu’elle fait a ces ouvriers et qu’ils n’entendent point sont unique; aussi fontils tout de travers. Ce que j’ai le plus demelé dans son caractere, c’est de vouloir etre aplaudie sur tout sans exception. La moindre objection la met en fureur. Je ne dis mot. Je vais perdre la parolle. Pour en conserver l’usage et ne pouvant plus y resister, car je n’avois pas eu un moment a moi dans la journée, je lus apres souper La Femme juge, qui me tomba sous la main. Elle l’ecouta assés bien. Cela fit meme divertion a la chiene de conversation qui n’avoit pas fini depuis le matin. Je ne sais comment nous en vimes a Md. de Verus. Je lui fis detailler sa maison et sa vie. Ah, quelle femme! Tu serois a jenoux devent. Je voudrois te dire tout, mais cela iroit trop loin. Un fait seulement. Tous les jours aloit chez elle qui vouloit; deux galeries bien eclairée et meublée par les mains de la volupté, ou regnoit l’air du printems dans le plus fort de l’hivert par les caneaux que tu sais et par des casolette divines et intarissables, etoient a tout le monde. On ne la voyoit pas si on vouloit. Des livres, des ecritoires partout, on en usoit comme chez sois. On jouoit ici, la on causoit dans un coin, la on lisoit, la on ecrivoit. Le souper servi, soupoit qui vouloit a table, sinon, on vous aportoit a souper seul ou avec votre ami. Il y a cent details plus charmans les uns que les autres. Pourquoi des gens comme ceux-la ne sont-ils pas imortels? On lui venoit lire toutes les nouveauté avant de les faire paroitre. Cela nous a mené jusqu’a pres de deux heures. Ma colique m’a tenus au lit jusqu’a midi. Apres diner nous avons encore fait une longue promenade. Ensuitte nous avons eté debasler huit ou dix caisses. J’ai enfin [v]u ce divin fauteuil de cette divine Md. de Veru. Je te souhaite pour tout bien d’en avoir un pareil. Le Docteur l’a vu; demande-lui comme il est. Elle a [a]cheté beaucoup de meuble a son encant. Combien j’ai vu d’encognures, de table, de chaisse persée; cela m’a amusé. J’en arrive et je prends le moment qu’elle traule encore pour te dire un petit bonsoir, et en comemoration de toi, voila devent moi un petit goblet avec du Sonini que j’avale de tems en tems. Ma caisse n’est arrivée qu’hier. Je voudrois pouvoir t’envoyer le catalogue des livres de Md. de Verus. C’est un gros livre.
Le vendredi matin [10 octobre 1738]
Bonjour, mon cher Panpan. Tu ne le croira pas, je t’entens dire «Cela ne ce peut pas», et cependant il n’est que trop vray que Taupe Ma Mie a recomencé hier a neuf heure et demie l’histoire de Toussaint et l’a fait durer jusqu’a une heure et un quart; non qu’elle soit finie, car elle n’en finit aucune, mais n’y pouvant plus tenir, je lui montrai sa montre. Je suis perdue si sa memoire a la fievre tierce. C’est pis qu’un romant, car elle sait toutes les letres qu’elle a recueës et ecrites, elle en dit la substance et puis elle les raconte jusqu’au dessus. Cela est a la letre, et cela sans se douter un instant qu’elle ennuie. Je croiois hier avoir une ressource. Elle avoit envoyé chercher sa belle-sœur. Je me preparois a la mettre a ma place, mais son mari est malade et je reste plastron. Je meurs de peur de m’acoutumer a la prolixité, a laquelle j’ai deja un penchant naturel. Je te somme au nom de l’amitié de m’en avertir. Il me semble que mes letres en prenent deja la tournure. Mais ma foi, je ne sais ou j’en suis. Cela m’abruti. Je n’ai pas encore fait de reponce a Mdle Lubert. Je ne sais comment m’y prendre.
A propos je lui ay promis de lui faire venir de la semence de cette belle chicorée que l’on a a Luneville. Vois si l’on peut en avoir et donne-la a Mr de Concitron (c’est ainci qu’elle l’apelle). Bonjour, mon cher ami, a travers ma betise je sens mon amitié qui ne peut etre alterée. Embrasse le Chien et le St pour moi.
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